Des bras pour les maraîchers
CHRONIQUE / Cela vous plairait de planter des choux, de récolter des asperges et des fraises, de troquer la ville pour la campagne et de fournir vos bras aux producteurs d’ici qui ne peuvent compter autant que par le passé sur les travailleurs du Mexique et du Guatemala? Si la réaction des Québécois est semblable à celle des Français à la campagne «Des bras pour ton assiette», nos maraîchers ne manqueront pas de main-d’oeuvre.
Il reste encore quelques fils à attacher avant que le gouvernement québécois et le milieu agricole lancent leur campagne de recrutement de main-d’oeuvre, nous a indiqué mardi Geneviève Lemonde, directrice générale d’Agricarrières.
Tout ce qui entoure l’arrivée et le protocole d’accueil des travailleurs étrangers temporaires- le Québec en reçoit habituellement 16 000 du printemps à l’automne- doit aussi être complété. La santé de tout le monde doit être protégée.
Le temps presse. Les travailleurs étrangers arrivent habituellement à la fin d’avril. Il faut préparer les sols, faire les semis, se mettre à l’ouvrage pour récolter et pouvoir garnir les étals et les assiettes de légumes et de fruits locaux au cours des prochains mois.
À cause de la COVID-19 et de la fermeture des frontières, les travailleurs étrangers seront peut-être moins nombreux cette année, mais en contrepartie, les chômeurs et les sans-emploi abondent.
Combien d’entre eux seraient prêts à donner un coup de main aux producteurs d’ici?
La semaine dernière, le ministre français de l’Agriculture, Didier Guillaume, a fait appel aux volontaires pour combler les besoins de personnel des producteurs français. «Je veux lancer un grand appel à l’armée de l’ombre, un grand appel aux femmes et aux hommes qui ont envie de travailler, un grand appel à celles et à ceux qui sont confinés chez eux, à celles et ceux qui sont serveurs dans un restaurant, hôtesses d’accueil dans un hôtel, au coiffeur de mon quartier, à celles et ceux qui n’ont plus d’activité», a déclaré le ministre.
Une plate-forme a été créée, «Des bras pour ton assiette», afin de mettre en contact chômeurs et agriculteurs. Les «bras» peuvent cumuler prestations de travail et de chômage.
De ce côté-ci de l’Atlantique, on imagine mal notre ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, emprunter les termes du ministre français pour inciter les Québécois à réorienter leur carrière et à prendre le chemin des fermes.
La formule envisagée par Québec aura toutefois des similitudes.
Geneviève Lemonde indique qu’ici aussi les gouvernements et les acteurs agricoles cherchent une façon de concilier à la fois les intérêts financiers des producteurs et les différents types de travailleurs sur l’assurance-emploi ou au salaire minimum. «C’est sûr qu’on ne versera pas des salaires semblables à ceux de l’industrie aérospatiale».
Les centres d’emploi agricoles des différentes régions seront mis à contribution pour jumeler producteurs et travailleurs.
Mme Lemonde s’attend à un large intérêt de la part des Québécois. Même au début, à une forme de «tourisme».
L’intérêt accru pour l’achat local, la solidarité exprimée depuis le début de la crise sanitaire, les efforts constants déployés pour mousser le secteur agricole et des émissions de télé qui mettent en vedette le monde agricole peuvent, selon elle, inciter des travailleurs et des étudiants à se faire embaucher sur des fermes.
Au-delà du «ça me tente», la capacité physique d’accomplir le travail sera requise. Il faudra également être assidu.
Certains réaliseront vite que la tâche est plus ardue que de cueillir trois paniers de fraises à l’île d’Orléans, un samedi après-midi ensoleillé. Après quelques jours de travail, peut-être que certains ne trouveront plus que le prix exigé des produits frais et locaux est exagéré. La prise de conscience de tout ce qui est nécessaire pour produire un casseau de fraises ou de framboises est assurée.
Mme Lemonde croit que ceux qui vont rester à l’emploi des producteurs plusieurs semaines vont constituer un noyau solide, capable d’accomplir le travail désiré. Elle s’attend à des «Wow», à de belles rencontres, à des jumelages inédits.
Bien sûr, elle ne peut prévoir quelle sera la productivité de cette main-d’oeuvre inattendue et inexpérimentée. Depuis maintes années, les Québécois boudent les champs et laissent le boulot aux travailleurs étrangers temporaires.
Mais dans la situation exceptionnelle que nous vivons, des producteurs n’ont pas le choix de faire preuve d’ouverture s’ils veulent semer, récolter et vendre. Une «brigade terrain» sera formée pour appuyer les producteurs.
Le quotidien Le Monde rapportait mardi que 150 000 Français veulent déjà rejoindre «la grande armée de l’agriculture française».
Combien de Québécois voudront mettre leurs mains savonnées dans la terre?
Journaliste : BRIGITTE BRETON, Le Soleil
Source : https://www.lesoleil.com/chroniques/des-bras-pour-les-maraichers-3527fca5cc16db74293167b2b8b6563c
(Consulté le 1er avril 2020)